Charismatique et bon vivant, Grödash fait partie de ces rappeurs qui font l’unanimité, à l’image de Lino, Le Rat Luciano ou Salif. Rappeur emblématique des Ulis (91) avec son groupe Ul’team Atom, proche d’ATK, il envoie son premier projet solo en 2008 et multiplie les featurings (Maître Gims, Youssoupha, Niro, Alkpote…) de la France au Brésil, en passant par le Congo, son pays d’origine. Avec une dextérité hors pair et la prestance d’un OG d’Harlem, il manie l’une des plus belles plumes du rap francophone. Aiguisée à force de duels de rap légendaires durant lesquels il a appris à « clasher l’ennui » (du nom d’un documentaire racontant les battles des Ulis), elle dépasse le cadre de la musique à travers son implication dans projets socioculturels. Avec sa voix rocailleuse et son flow ravageur, il sait autant détendre l’atmosphère à coups de punchlines bien marrantes, qu’aborder des sujets profonds avec pertinence. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter Ghetto Littérature, un nouvel EP percutant et habillé de sublimes samples découpés par Coazart.
Esprit engagé
Arrivé aux Ulis en 1995 après avoir grandi au Congo Brazzaville, Grödash doit à ses parents son esprit engagé qui fait rimer paroles et actes : « Quand tu vois des Congolais de ma génération, la plupart de leurs parents, c’était des grands intellectuels. La France offrait des bourses aux élèves les plus brillants pour les faire venir en France et passer leur doctorat. Mon père a fait une thèse de sciences politiques sur la colonisation du Zaïre, le plan de sortie de crise du Zaïre. Il a allumé l’État français du début à la fin du livre, mais il a eu mention très bien à la Sorbonne et les mecs lui ont sorti le champagne à la défense de thèse. Ensuite, il a eu l’occasion d’aller taffer soit au Canada, soit en Algérie, mais son projet c’était l’Afrique. Aller déboulonner Mobutu, mettre la démocratie au Zaïre, au Congo. Que tout le monde redevienne heureux, comme dans sa jeunesse. Alors il est devenu professeur à l’université à Alger et quand je suis né, il a eu une opportunité au Congo Brazzaville, alors il s’est encore plus rapproché de Kinshasa. Mais on n’avait pas le droit d’y aller, car mon père organisait l’opposition avec son ami Étienne Tshisekedi, le père du président actuel. Plus tard, mes parents ont essayé de venir nous voir en France et la France leur refusait systématiquement le visa alors que leurs trois enfants étaient français. C’est-à-dire qu’on était obligés de se donner rendez-vous à Miami, on se retrouvait au Brésil, au Maroc, on passait des vacances ensemble, parce que c’était impossible de se voir en France jusqu’à ce que mon père tombe gravement malade et là, il a pu avoir des petits visas pour raison médicale. Mais c’était trop tard, l’amour de la France était niqué déjà. Eux ils ont toujours souhaité vivre et mourir au bled. Ils auraient pu avoir des super postes ici : ma mère est docteur en toxicologie. Elle a travaillé dans la recherche du vaccin contre Ebola, elle est engagée dans la lutte contre le covid, elle est aussi prof à l’université de Kinshasa. Voilà, ils sont payés des clopinettes au bled, mais ils étaient dans un combat idéologique déjà de nous montrer : voyez ce à quoi on a dit non, on s’en fout. Notre vie est ici, si vous voulez allez ailleurs, allez-y, mais nous on reste là. »
En 2016, Georgette Biebie Songo – la mère de Grodash — a même reçu un prix honorifique de l’ONU Femmes pour son engagement faveur des femmes. La même année, le rappeur fait une petite pause dans sa carrière musicale pour retourner près de sa famille, au Congo. Sur place, il développe des artistes à travers la structure 243 street et lance un festival dans la ville d’origine de sa mère, Kikwit. « C’est une ville délaissée, privée d’eau et d’électricité depuis une vingtaine d’années, alors qu’il y a un million d’habitants. C’est une injustice de ouf, on essaye de leur apporter un peu de sourire à notre manière. Le premier jour, on a ramené 10 000 personnes au stade, c’était incroyable. Depuis on essaye de faire ça chaque fois que c’est possible, pour le mois de la femme. »
Aux côtés de sa mère, il a également créé une banque de femmes. Un projet qu’ils ont été invités à présenter lors d’un Ted Talk à Hong Kong : « C’est pour aider les femmes entrepreneures. Elles ont des formations et déposent l’équivalent de deux euros minimum par semaine, dans une caisse collective. Ça fonctionne comme un livret A. Dès qu’elle a au moins l’équivalent de 30/40 euros, elle peut demander un crédit de 50/60 euros et elle rembourse avec 10 % d’intérêts. Et les intérêts, la moitié sont pour elle et l’autre, pour la caisse commune. Plus t’empruntes, plus tu récupères d’intérêts. Ça leur permet d’avoir un treizième mois. »
International MC
Très tôt, Grödash a été habitué à voyager : « Je suis quasiment né dans un avion : mes parents habitaient en Algérie, ma mère a dû accoucher à Paris. Quelques mois après j’étais à Brazzaville. Depuis l’âge de 3/4 ans on venait souvent voir la famille en France. Tout m’a toujours paru à côté en fait. Et j’ai eu l’occasion de voyager un peu grâce à mon frère qui, très tôt, a quitté la France à cause du manque d’opportunités… Alors qu’il était surdiplômé. Il est parti en Belgique, ensuite au Portugal… C’est là que j’ai commencé d’apprendre le Portugais, dans les années 97/98. Après il a trouvé un job à Miami, dans les années 2000 : on squattait 3/4 mois, on rentrait, puis on y retournait. C’est là-bas que j’ai emmené Nabil le producteur de Sinik, dans une boîte qui s’appelle le Six-O-Nine : il a appelé son label comme ça. On a croisé Cappadonna sur la plage, fait des freestyles… C’était l’insouciance. On était à peine majeurs et on voyait le rap américain en live. On croisait Lil Wayne, P. Diddy, on se disait : mais putain, on y est ! Ça nous a bien motivés et ça a changé un peu notre style vestimentaire, notre manière de rimer… Déjà, dans le 91 on est très américanisés, mais là on revenait carrément de Miami, on était à la source. Donc tout ce qui était Dirty South, Trap, etc. on était déjà dedans début 2000. »
Guidé par la passion plus que les tendances, Grödash sait faire cogner ses rimes sur du hip-hop aux influences plurielles : reggae, rock, et même rumba. Son premier album solo a failli être construit sur une base funk carioca : « J’suis parti un an en 2005 pour enregistrer Illegal Muzik (2008) dans la forêt à Rio. Sur la plage, j’ai rencontré un vendeur de disques : Felipe Silva. On a sympathisé et il m’a invité en studio avec son groupe. Puis on s’est retrouvé à faire un album ensemble, dans les ambiances funk carioca. Un peu tout ce qui sort ici maintenant. Mais ça allait être mon premier album, en sortant d’Ul’Team Atom, et je me disais que les gens allaient pas comprendre, que j’allais mourir avant d’être né. Donc on s’est concentré sur un truc un peu plus boom bap acoustique et ça a donné cet album. Avec des Brésiliens et un groupe de reggae qui ont apporté pas mal de percussions dans l’album, des basses live… Vraiment, on était en connexion avec la nature, les esprits, j’étais dans une ambiance un peu divine. »
Jusqu’à sa pause musicale en 2016, Grödash n’a pas sorti un projet qui ressemblait aux précédents. De l’introspectif et bouleversant double album Enfant Soldat (2011) à son escapade dirty south et trap parfumée à la weed, Bandana & Purple Haze (2014), il a fait évoluer sa couleur musicale sans trahir le sens de sa plume. En témoignent aussi ses mixtapes et featurings au Congo comme au Brésil. A l’instar de Realidad, sur la mixtape International MC (2020) qui regroupe des featurings inédits. Le morceau est introduit par son défunt père en swahili. Ensuite Grödash et MV Bill, rappeur emblématique de la Cité de Dieu à Rio, racontent comment ils se sont retrouvés si loin de l’Afrique depuis l’arrivée des esclavagistes.
« T’es grande, t’es belle tu manques un peu de confiance en toi
Grödash – Jeux Pervers
Moi, ils me font rire, je me demande bien ce qu’ils feraient sans toi
Rappelle tes mômes je crois que c’est pas trop le kiff à Saint-Ouen
La bague au doigt on passe un cap, amoureux depuis le placenta »
Les pieds au quartier, les yeux rivés sur le monde
Aujourd’hui, avec Flymen Vision, Grödash condense ce qu’il sait faire de mieux : des samples se baladent sur des beats percutants, servis par un sens de la formule aiguisé. Une succession d’images fortes s’abattent sur « Voilà et ses airs d’hymne au hochement de tête imparable, « Ghetto Littérature » et son boom-bap new-yorkais avec ses voix pitchées, ou encore « Jeux Pervers », et son majestueux sample de « guitares qui chialent ». Un extrait du classique du rock de Chris Isaak, « Wicked Games », mis au service d’un titre fort dans lequel il évoque sa relation, entre amour et haine, avec une Afrique personnifiée.
Avec sa structure qui développe de nouveaux artistes, notamment Dim’s, Grödash fait aussi le choix de la transmission : « On fait des ateliers d’initiation au cinéma, à l’écriture, on a emmené des gamins d’Évry au Congo pour faire un morceau. On a des contrats avec des mairies, des artistes… Ça permet de faire rentrer un peu de trésorerie dans la structure et de rester actif. On a tellement appris à faire avec rien, que quand il y a un petit quelque chose, on en fait des miracles. ».
Avec une tonne de projets en tête, l’expérience d’un OG et l’envie débordante d’un rookie, Grödash est cité en référence par les nouveaux représentants du hip-hop des Ulis comme Gambino La MG. Avec sa série de freestyles Dash et Ghetto Littérature, l’un des projets rap francophones les plus intéressants de ce début d’année, Grödash semble avoir trouvé la fontaine de jouvence. Les pieds au quartier, les yeux rivés sur le monde, il est prêt à récupérer la part du gâteau que mérite sa génération de rois sans couronne.
Ghetto Littérature disponible sur toutes les plateformes dès maintenant.
Écoutez Grödash dans notre playlist Pan African Rap sur Spotify et Deezer.